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livres en laisse

24 janvier 2006

Les classiques me font rire

Armada de types austères qui nous ont laissé de grands livres, on est bien obligés, bac ou pas bac, de s'en farcir quelques-uns quand on se targue, même un minimum, d'être un lecteur. Mais certains, des plus étonnants, vous balancent des petits trucs méchamment ciselés, affûtés en canon, qui vous cueillent à froid au cœur de l'œuvre – vous êtes quelqu'un de sérieux, vous lisez ces livres avec une certaine solennité, n'est-ce pas ? Et vous retrouvez à hurler de rire comme une hyène siphonnée. Qu'est-ce qui se passe ? Rien c'est un clin d'œil à travers les siècles… C'est ça la littérature Darling.

"Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler à la lingerie. Protégée par l'archevêché comme appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous la Révolution, elle mangeait au réfectoire à la table des bonnes soeurs, et faisait avec elles, après le repas, un petit bout de causette avant de remonter à son ouvrage. Souvent les pensionnaires s'échappaient de l'étude pour l'aller voir. Elle savait par coeur des chansons galantes du siècle passé, qu'elle chantait à demi voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu'elle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-même avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n'étaient qu'amours, amants, amantes, dames persécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu'on tue à tous les relais, chevaux qu'on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du coeur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes."

Et il continue, cet animal de Flaubert, histoire de bien enfoncer le clou. Et il y a ce donc qui m'achève à chaque fois. Avait-il prévu l'hilarité du lecteur ? L'irruption du rire ? "Emma se graissa donc les mains…"

"Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. Avec Walter Scott, plus tard, elle s'éprit de choses historiques, rêva bahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, connue ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir."

artistes_tous_farceurs

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